30 juin 1960 : souvenirs d’un adolescent de Léopoldville.

30-juin

… Je n’ai que des bribes de souvenirs d’adolescent sur « mon » 30 juin 1960. Par exemple, le défilé sur le boulevard Albert Ir, et moi à la tête de mon école, l’école primaire Sainte Anne. Ah, fier d’être en tête de cortège et fier de brandir le drapeau bleu percé d’étoiles dorées !

Pourtant la veille, à la répétition du défilé  l’ambiance était tout autre : le révérend Père directeur a eu des mots durs sur l’indépendance, et notamment sur Lumumba. Opération « lavage de cerveau » de la dernière chance…

Sur l’indépendance ? autrement dit ( toujours   selon le directeur, un Belge bourru  et rustre), « pas d’ école pour les enfants. « Plus de scoutisme ». « Plus de jamborée ». « Tous les enfants bientôt enrôlés dans la Force Publique, comme chez les « communistes »…

Les « communistes » ?  « des suppôts du Démon, selon le Père. Chez les « communistes », selon lui,   tout est « commun » ( Un  pour Tous, Tous pour  Un !) tes biens à toi sont pour tous. La parcelle de ton père est pour tous, surtout  les sans-domicile-fixe. Ta chemise, ton pantalon étalés sur le fil du séchoir, c’est pour tous, surtout pour les passants va-nu-pieds, sans –culottes. Ta fiancée est la fiancée de tous, surtout des goujats… »

Sur Lumumba ? Pour le vénérable Père, « communiste et surtout athée » ( ‘athée’  était la pire des incantations   d’excommunication).

C’est sans doute pourquoi, après le défilé, ça a été le détour obligé à l’école, pour vérifier les présences certes, mais pour un internement momentané, quoique agrémenté de friandises appétissantes. On apprendra bien plus tard qu’il s’agissait de détourner l’attention des enfants ;  que les services de la procure avait eu vent du scandale que Lumumba préparait en public devant le roi Baudouin, « Bwana Kitoko », et en  direct à la radio…

Enfin, retour à domicile des défilants que nous étions. Fier plus que fier d’être non seulement le « porte étendard » de l’école, mais aussi de tout le quartier. J’ai d’ailleurs gardé pendant près d’une semaine, le badge commémoratif    du 30 juin, sorte de relique du « porte-étendard ».   Donc, retour au bercail et euphorie vertigineuse des quartiers d’en bas. Ivresse populaire envahissante, démentielle. Dans les bars, la chanson « Indépendance cha cha » à gogo et en boucle.   J’ai compris plus tard : le discours volcanique de Lumumba avait mis le feu aux poudres. On dansait « Indépendance cha cha », on chantait « Indépendance Lumumba ».

« On » ? Mes frères ainés « fans » de Lumumba, « le nationaliste »,   « le patriote »,  « le baroudeur » (« gang-ya-film », selon l’expression kinoise). « On » ?   Les « grandes sœurs » du quartier,  les cuisses à découvert sous des robes en bataille, à tout vent ; des seins   en bandoulière, offerts à tout-va…

Oyéé, Indépendance cha cha ! Oyéé, Indépendance Lumumba !

Pour la première fois j’avais découché. Pour la première fois, je pénétrais dans un  bar. Pour la première fois,   moi aussi j’avais dansé « Indépendance chacha », « Indépendance Lumumba »…

Hélas, le lendemain de cette cuite générale a été la  gueule de bois. Mon père   géniteur, « évolué »  inconditionnel et « fan » du roi Baudouin, avait mal pris mon escapade. Il m’attendait sur le seuil du portail de la parcelle, avec une chicotte en mains…

YOKA lye (30 juin 2021)

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