Election présidentielle indirecte, clause de l’accord secret Tshisekedi – Kabila ou pomme de discorde ?

Election présidentielle indirecte, clause de l’accord secret Tshisekedi – Kabila ou pomme de discorde

On l’a appris ces derniers jours : Joseph Kabila se bat bec et ongles pour que la RDC organise une élection présidentielle indirecte dans trois ans, en 2023. « Kabila veut une élection indirecte à tout prix », affirme une source digne de foi. Tshisekedi qui est arrivé au pouvoir sur un arrangement avec son prédécesseur savait qu’il fallait changer le mode de scrutin pour se donner une chance de rester à la tête du pays.

Il l’a du reste très clairement énoncé dès le 24 janvier 2019, au moment où il inaugurait son mandat : « les modes de scrutin doivent s’adapter à nos réalités (…). Notre dispositif électoral mérite des ajustements appropriés ». Ces propos se sont noyés dans les flonflons de la fête udpsienne et dans le flot des mots du discours-fleuve un peu décousu prononcé par le nouveau président. Et depuis, il n’est plus revenu sur cette question pour expliciter sa pensée ou l’étoffer en y apportant des éléments concrets.

Ce qui peut faire penser, à juste titre, que ces mots lui avaient été mis dans la bouche par… son prédécesseur. Il ne serait pas inintéressant d’essayer de comprendre les stratégies des deux alliés de circonstance, adversaires de demain (sûrement) et déjà d’aujourd’hui (presque), Kabila et Tshisekedi.

Revenir au pouvoir : une hantise

Le mode de scrutin indirect à la présidentielle qui serait devenu une hantise pour Kabila est, en réalité, une question de survie politique et même de survie tout court, pour lui-même ainsi que pour ses familles biologique et politique : ils ont tout à perdre dans une élection dans laquelle tout le peuple serait convoqué et leurs intérêts sont énormes.

Alors une élection présidentielle indirecte, bouclée entre quelques « délégués » triés sur le volet par une CENI aux ordres leur permettrait d’échapper à toutes les menaces qui pèsent sur eux comme autant d’épées de Damoclès : la justice nationale qui se donne de plus en plus la liberté de les coller aux trousses, la population revancharde pour tant de brimades et de couleuvres avalées, la justice internationale dont on dit qu’elle se prépare déjà à traquer Kabila et les siens. C’est pour cela que l’objectif pour Kabila sera de revenir au Palais de la Nation ou d’y installer un de ses « lieutenants » en 2023.

Election présidentielle au suffrage indirect

Bien sûr que l’on peut aisément justifier le choix d’une élection présidentielle indirecte, même si toutes ces raisons apparemment fondées ne sont qu’un écran de fumée : l’immensité du pays, la faiblesse des infrastructures et surtout le coût d’un scrutin à organiser sur tout le territoire national.

C’est tout cela que Felix Tshisekedi avait résumé en deux petites phrases dans son discours du 24 janvier 2019 et qui rejoint – bizarrement – les desseins presqu’affichés de Joseph Kabila. Mais Tshisekedi, lui aussi, pour s’inscrire dans la durée, ne serait pas fâché de sélectionner lui-même ceux qui constitueraient le corps électoral. Alors, l’élection présidentielle indirecte, serait-ce une panacée pour la RDC, en tout cas pour les mouvances actuellement coalisées à la tête de l’Etat ? On dirait bien.

Congo : mille modes de scrutin expérimentés

En y regardant de près, pour une raison et une autre, tous les modes de « scrutin présidentiel » imaginables ont déjà été expérimentés – mine de rien – dans notre pays : le scrutin à candidat unique (avec Mobutu), celui à candidatures multiples (avec Joseph Kabila), le scrutin à deux tours ou à un tour (avec le même Joseph Kabila), l’élection présidentielle indirecte (avec Joseph Kasa-Vubu au moment de l’indépendance), mais aussi le coup d’Etat militaire (avec Mobutu), l’auto-proclamation (avec Laurent-Désiré Kabila) et même la succession familiale (avec Joseph Kabila). Excusez du peu, mais il n’est pas interdit, semble-t-il, surtout lorsqu’on est au Congo, d’étaler sa « richesse »… comme le sieur Massaro ou la énième « bureau » de ce politicien qui couvre de billets verts sa dulcinée sur des images tournant actuellement en boucle sur les réseaux sociaux !

Ce serait peut-être humiliant pour beaucoup de gens si l’on relevait que de toutes les élections que le Congo a connues, la seule incontestée, indiscutable et acceptée par tous comme juste et démocratique est finalement celle de Joseph Kasa-Vubu, au moment de la proclamation de l’indépendance. Elle était indirecte, justement, avec quelques centaines de votants seulement.

Pas d’argent pour une élection vraiment libre…

Étant donné le parcours étonnamment fourni, en modes de scrutin, de la RDC, on peut noter qu’on veut en fait aujourd’hui retourner là où l’on avait commencé.

On sait pourtant que si la présidentielle indirecte a été abandonnée, c’est parce qu’on a voulu organiser des « élections démocratiques et libres », au suffrage universel direct c’est-à-dire en donnant directement le droit à chaque Congolais et chaque Congolaise de désigner celui ou celle qui devait présider aux destinées du pays.

Mais contre ce mode de scrutin, il y a l’argument assourdissant de son coût. Et c’est ici que les propos de Tshisekedi prennent un relief tout particulier et que sa stratégie s’affiche en filigrane.

Il ne va pas réanimer le scrutin à deux tours, définitivement condamnée parce qu’il serait trop coûteux. On ne devrait donc logiquement pas y revenir sauf coup de théâtre. Mais, le vote à un seul tour qui semblait avantageux pour le pouvoir en place qui pouvait assez facilement, pensait-on, se fabriquer – si besoin était – une majorité, ce mode de scrutin-là ne paraît guère rassurant lui aussi à partir du moment où c’est l’ensemble de la population qui est convoquée alors même qu’il a des raisons d’en vouloir à Kabila comme à Tshisekedi.

En excluant le coup d’Etat, l’auto-proclamation et la succession de type monarchique, que reste-t-il au menu ? L’élection indirecte, bien sûr. Si ce n’est pas ce que le président Tshisekedi voulait sous-entendre, déjà lors de son discours d’investiture, alors qu’on dise comment on va réinventer la roue !

Tshisekedi et Kabila : même combat

Et nous voici dans la quadrature du cercle : l’élection présidentielle au suffrage indirect arrangerait à la fois Kabila et Tshisekedi, mais, bien sûr, le fauteuil présidentiel serait trop étroit pour les deux à la fois. En fait, il apparaît plus plausible de penser que l’élection indirecte était (au départ) l’arme secrète de Kabila, le gage de sa survie et il l’a ainsi insérée comme une clause de l’accord secret entre l’ancien et le nouveau président de la République.

Tshisekedi l’a subtilement évoquée dans son tout premier discours de chef d’État pour que ce soit une ligne de force de son action afin de faire plaisir à son bienfaiteur et peut-être d’ailleurs sous la dictée de celui-ci. Mais au fil du temps, Tshisekedi et les siens se sont rendus compte que cette clause secrète pourrait bien être retournée à leur avantage.

D’où, toutes les batailles et cette guérilla (le mot n’est pas trop fort) autour de la CENI et de la Cour constitutionnelle … Un analyste politique affirme que même Vital Kamerhe, candidat virtuel du CACH pour 2023 et « coach » du président frais émoulu Tshisekedi au moment de son premier discours présidentiel, Kamerhe a sûrement rêvé à cette arme fatale.

Retour des démons de la dictature

Mais pour tous les prétendants de 2023, comme un peu partout ailleurs dans l’Afrique qui recule, il faut éliminer les vrais concurrents : Tshisekedi pourrait faire déclarer Kabila inéligible (par une Cour Constitutionnelle construite de ses mains), Kabila pourrait faire disqualifier Tshisekedi (par le Parlement fabriquer par lui).

Ainsi, dans les prochains jours, tout peut arriver dans le microcosme politique congolais. Même Martin Fayulu, empêcheur de tourner en rond, devenu la bête noire des mouvances coalisées autour d’un pouvoir à conserver à tout prix, peut bien, demain, se retrouver à l’ombre des murs de Makala, à la place d’un Kamerhe désormais dompté… Tout ceci pour laisser place nette à un combat dont nous voyons le prélude depuis quelques mois déjà, Tshisekedi contre Kabila, Udps contre Fcc.

La démocratie n’a pas de prix et l’argument du coût est opportuniste et fallacieux. Le retour au scrutin à deux tours est réclamé par la très grande majorité des Congolais comme un des axes prioritaires de la réforme du système électoral. L’élection présidentielle indirecte est d’ores et déjà illégitime et consacrerait la confiscation du pouvoir par un groupe. Ce serait une réforme anti-démocratique. Ni plus, ni moins !

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