Confidences du chauffeur du Ministre

Confidences du chauffeur du Ministre

« Covid-19 : le massacre des jumeaux »
Mon patron le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques (à prononcer avec respect…) est dans tous ses états, au comble de la révolte. Tout a commencé par des flashes distillés par les réseaux sociaux.

Des images insoutenables de deux cadavres collés-serrés et calcinés comme vulgaire viande boucanée. Et jetés comme-ci-comme-ça dans la broussaille d’un village frontalier avec l’Angola, là où vibrionnent les trafiquants de tout acabit : des creuseurs artisanaux de diamants comme taupes droguées, des commissionnaires au long bras et au long cours, des « frappeurs » à la fois prestidigitateurs rusés et pervers parce que fabricants impénitents de la fausse monnaie.

Mais aussi de simples débrouillards, marchands et négociants saisonniers, de passage.
Au bout d’investigations fastidieuses, et sur insistance de mon patron de Ministre, l’on a pu enfin identifier les deux corps calcinés.

Yélélé ! Horreur ! Il s’agissait de jumeaux, des vrais, des adolescents ; et tous deux étudiants à l’Institut National des Arts de Kinshasa. Orphelins de père et de mère, acculés par le Covid-19, sans ressources et sans soutien à Kinshasa, les jumeaux avaient tenté de contourner le confinement sur les chemins de trafic du diamant, vers la frontière.

Les enquêtes de mon patron de Ministre ont été plus qu’accablantes : là-bas, un monde d’enfer et sans pitié, avec une maffia tentaculaire, avec des règlements de comptes expéditifs et sanguinaires. Avec des complicités vénéneuses.

Toujours est-il que, grâce à leur ingéniosité, à leur entregent, et sans doute à leur charme d’artistes en duo, les jumeaux étaient de plus en plus populaires dans le patelin, de plus en plus sollicités et de plus en plus prospères. D’où des jalousies sournoises et tenaces.

… Ce dimanche-là, alors que les jumeaux Mbuyi et Kanku prolongeaient la soirée en compagnie de leurs copains et admirateurs, autour de mélopées improvisées et nostalgiques de Kin-Kiesse, de Kin-la-Joie, soudain, yélélé ! des coups de feu, soudain des coups de boutoir ! Soudain le studio des jumeaux fracassé de fond en comble. Soudain toutes les économies dans le coffre-fort de fortune, pour ainsi dire, dilapidées !

Puis, yélélé ! l’enfer ! des hordes de bandits cagoulés avaient envahi le studio. Ces bandits ont chassé copains et admirateurs, parce que certainement témoins gênants pour eux ; ils ont garrotté les jumeaux, les ont tabassés à mort avec des bâtons et des pierres. Puis, yélélé, le geste satanique : les jumeaux ont été aspergés d’essence et brûlés. Leurs restes jetés pêle-mêle dans la broussaille, à la merci des termites et des rats sauvages.

Finalement mis aux arrêts, les bandits sont passés aux aveux. C’étaient en partie des adeptes d’une secte de type à la fois messianique et vaudou ; et en partie des raquetteurs de grand chemin.

Pour eux, ils ont eu affaire à des jumeaux « cent-pour-cent, sang-pour-sang », c’est-à-dire une « race de sorciers » qui avait accaparé toutes leurs chances de concurrents malheureux, par la magie d’un statut insolite, insolent même…

… J’ai vomi, vomi. De dégoût et de révulsion devant tant de bestialité abjecte, nauséabonde et sanguinolente. J’ai demandé à mon patron de Ministre un congé indéterminé. Pour deuil. Solidarité de la part de l’enfant-jumeau que je suis aussi, envers le martyre de ces frères-jumeaux par alliance…

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