Confidences du chauffeur du Ministre

Confidences du chauffeur du Ministre

« Covid-19 :   matches   des   marches… »

Surprise.  A Kinshasa, les semaines passées à l’occasion des séries de   marches politiques de protestation, on est allé, pour parler comme les fans du football, de « derby » à  « derby », de « classico » à  « classico », de « remontada » à « remontada »…

Mais matches ou marches, les spectateurs ont eu droit à des scènes   à géométries variables : car souvent ce sont  les  mêmes supporters et   fans affublés  des  tee-shirts différents mais superposables, qui défilaient de marche à marche, selon l’offre et la demande des surenchères changeantes sur le trottoir :  aujourd’hui  les  voilà,  les  supporters  avec des tee-shirts  à   l’effigie de tel leader  ; et demain revoilà les mêmes supporters avec des effigies différentes d’un autre leader…

Pourtant la compétition reste acharnée au niveau des états-majors des partis politiques : c’est  à  qui, entre  ces  partis  politiques, déploiera les foules les plus nombreuses, les plus turbulentes, les plus résistantes aux assauts de la police.

Mais aussi les foules les plus inspirées en termes de slogans, qu’ils soient traduits à travers les chansons populaires connues, mais transformées et épicées pour les besoins des revendications (par exemple, la chanson « indépendance cha cha » devenant  « la-décadence cha cha »…) ; ou que ces slogans soient transcrits en grosses lettres-épouvantails sur des banderoles et les pancartes criardes.

Surprise. Mon patron de Ministre  avait suivi tout ce charivari avec un intérêt à la fois politique, … stratégique et tactique. C’est pourquoi, en  homme  de  terrain et de défi, il  est allé  loin, et  il  m’en a fait part : le Ministre (avec M majuscule) avait décidé de prendre part, en catimini  et   incognito, à  une des marches de protestation, mais sans étiquette politique… Il  m’a demandé de l’accompagner, et de servir à la fois de garde du corps,  de  vigile  et de guide.

Surprise. C’est  ainsi  que  le  lundi  passé, sous le masque à la mode, de marque ‘’covid-19’’, avec képi, jean’s et pantoufles assortis, sifflet au bec, le Ministre et moi, nous nous sommes infiltrés  dans la foule dense de la commune dite « rouge » de la Tshangu.

Une foule, hélas, sans gestes-barrières, sans distanciation respectueuse des règles sanitaires  en  vigueur… Comme si la marche s’était convertie en même temps  en  un  défi  fou, suicidaire, contre le Coronavirus…

Pendant la marche, j’ai cru lire  sur  le  visage du Ministre quelque chose comme de l’émotion et de l’effroi ,  au milieu  de toute cette cohue infernale, avec des cris de colère contre tout : contre le KO.

du franc congolais face au dollar, contre les « parle-menteurs » bonimenteurs, contre  la démon-cratie  incantatoire et soporifique, contre l’‘‘IPR’’ (Impôt Pour Rien),  contre  le   SIDA (Système Immoral  des  Dépenses  Aventurières), contre la TVA (Taxe à Valeur  Arbitraire), contre les fausses dévotions d’en-haut-en-haut, contre la potion et la pilule amères  et quotidiennes des gens d’en-bas-en-bas…

Quelquefois même, j’avais l’impression que le Ministre, derrière son déguisement, avait été tellement pris au jeu des marcheurs, tellement  pris d’un zèle insolite, que lui aussi donnait de la voix en écho aux cris et aux coups de gueule ambiants !

Surprise. La marche se termina dans la débandade : la police avait chargé à l’aide du gaz lacrymogène, laissant sur le trottoir quelques victimes collatérales.

Plus grave : lors de l’arrestation au hasard des meneurs,  le Ministre et moi nous nous sommes retrouvés du mauvais côté, entre les filets de la police, puis entre les barreaux de leur cachot…

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